Guinée : La suspension de l’octroi des agréments aux ONG inquiète

Le gouvernement guinéen a annoncé, le 2 septembre 2024, la suspension de l’attribution des agréments « aux organisations non gouvernementales (ONG) et mouvements associatifs ». La mesure est valable pour une durée de quatre mois.

Selon le communiqué du général Elhadj Ibrahima Kalil Condé, ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, les actions de la société civile sur le terrain vont être évaluées au regard de leurs statuts avant tout renouvellement d’agrément pendant la période de suspension.

Le pouvoir justifie la mesure par des « dysfonctionnements » constatés au sein de ces ONG et mouvements associatifs, des actions de « trouble à l’ordre public » provoquées par ces entités et la nécessité de faire une « évaluation de leur fonctionnement ».

Sans tarder, les acteurs de la société civile ont réagi et invité le gouvernement de transition à revenir sur la mesure afin de « permettre à la démocratie de grandir » et aux citoyens guinéens de « jouir pleinement de leurs libertés ».

La décision gouvernementale a été accueillie avec « plein d’inquiétudes » au sein de la société civile guinéenne, selon Alhassane Konah Baldé, président de « Citoyens pour la paix et la justice » (CPJ), une ONG spécialisée dans la gouvernance, la démocratie, la paix et les droits humains.

Contacté par Ouestaf News, M. Baldé s’interroge sur « les réelles motivations » de cette mesure intervenue « à quelques mois de la fin prévue de la transition », selon le calendrier convenu avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et les Forces vives de Guinée. Ces dernières sont composées en grande partie par des organisations de la société civile (OSC), précise-t-il.

La fin du régime de transition militaire pour un retour à l’ordre constitutionnel a été fixée au 31 décembre 2024 entre la Cedeao et le pouvoir du général Mamadi Doumbouya, chef de la junte issue du coup d’État de septembre 2021.

L’inquiétude de la société civile guinéenne est partagée par le journaliste Sally Bilaly Sow qui entrevoit une mesure « floue », en ce qui concerne la nature et l’étendue de l’évaluation des activités évoquée par les autorités.

Membre d’Africtivistes, réseau de web-activistes africains pour la démocratie, Sally B. Sow remarque que la décision des autorités ne semble pas prévoir une identification précise des organisations qui seraient « fautives ». Elle « accable » plutôt toutes les organisations ciblées au moyen d’une généralisation de supposés « dysfonctionnements statutaires ».

Depuis plusieurs années, les OSC guinéennes font face à d’innombrables obstacles pour obtenir et renouveler leurs agréments, selon les militants de la société civile contactés par Ouestaf News.

« Nous avons des centaines d’ONG qui sont en attente de ces documents », affirme le web-activiste Sally Bilaly Sow. Quant à Alhassane Konah Baldé, il se demande même, si le gouvernement « a évalué les conséquences » de la suspension de la délivrance des agréments sur la vie des organisations. Car l’agrément est un document officiel indispensable pour « la mobilisation des ressources » et le déroulement d’activités qui « impactent positivement les populations », précise le président de « Citoyens pour la paix et la justice ».

Le défaut d’agrément de la part des services de l’Administration territoriale entraine une double conséquence pour les OSC : il les plonge dans l’illégalité puis les prive du soutien financier et technique des traditionnels bailleurs de fonds, souligne Sally Bilaly Sow.

Dans les stratégies de levée de financements et la réalisation de certains projets de développement, la société civile est un « partenaire stratégique du gouvernement », estime le Réseau guinéen pour un espace civique ouvert (Regeco). Dans une déclaration du 2 septembre 2024, publiée sur le site Guinée Matin, ce regroupement de défenseurs des droits humains, de professionnels des médias, de structures sociopolitiques et syndicales, a appelé le pouvoir à appliquer les dispositions du code civil de 2019 qui prévoit « une simple déclaration en matière de liberté d’association ».

L’attitude du gouvernement guinéen à l’encontre des organisations de la société civile n’est pas étrangère au contexte politique, font remarquer les deux militants interrogés par Ouestaf News.

Le 11 juillet 2024, Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, dénonçait une « répression de la dissidence pacifique avec la suspension d’organes de presse, des restrictions d’accès à Internet et la répression brutale de manifestations ».

En outre, l’incertitude sur le chronogramme de retour à l’ordre constitutionnel est à l’origine d’une brouille entre des OSC et le pouvoir. Une mésentente cristallisée autour de la « disparition » de Mamadou Billoh Ba et Oumar Sylla alias Foniké Mengué. Les deux figures principales du Front national pour la défense de la démocratie (FNDC), mouvement citoyen créé en 2019, n’ont pas donné signe de vie depuis le 9 juillet 2024. Les autorités guinéennes ont affirmé ne pas savoir où elles pourraient se trouver.

Pour le journaliste Sally Bilaly Sow, la suspension des agréments serait ainsi une « suite logique de la restriction des libertés » opérée par la junte depuis plusieurs mois. Pourtant, le respect des libertés d’association, de réunion et d’expression est « nécessaire dans toute démocratie et même en période d’exception », rappelle le Regeco dans son communiqué.

Anticipant sur la suite de cette suspension de la délivrance des agréments, Alhassane Konah Baldé pronostique que les OSC actives dans la promotion de la démocratie et des droits humains seront « les plus touchées ». Ce sont elles qui sont considérées comme des « adversaires à combattre », note-t-il.

Avec Ouestafnews